samedi 7 mai 2016

Vancouver, la belle et la bête

Il y a cinq ans, mon amant fut le Brésil. Aujourd'hui, c'est pour Vancouver, le séduisant, le désinvolte, l'émeraude, que mon cœur papillonne.

Voilà trois heures que j'ai jeté l'ancre dans English Bay, sur le seawall qui borde et entoure l'océan de ses bras généreux. Je regarde autour de moi, je suis en mode absorption de données subjectives, j'observe ce qui se passe, la marée qui monte, les paquebots qui se bercent en attendant une place au port, les peupliers brocolis si densément feuillus qu'ils obliquent à peine sous l'effet de la brise, et bien sûr, un peu cliché, mais vrai et émouvant, le soleil qui flotte au-dessus de l'eau attendant lui aussi, tout comme les paquebots, le moment prévu pour atterrir. Il est 20:00.

Aujourd'hui, j'ai exploré la ville à bord d'un "cruiser" bleu turquoise avec Paulo, le biologiste marin, désigner graphique et guide touristique (je reviendrai plus tard sur le pourquoi des trois métiers). D'autres cyclistes nous accompagnaient, mais comme ils n'ajoutent rien à l'histoire, inutile de gaspiller plus que ces quelques mots sur eux !

Alors revenons à Paulo.  Une encyclopédie sur deux roues.  Il ne vous balance pas tout bêtement son arsenal de données dans la tronche, il vous raconte des histoires. Et ça, à une époque où les véritables conteurs sont en voie d'extinction et l'art de raconter lui-même quasi-uniquement utilisé à des fins commerciales, et bien, ça n'a pas de prix.  J'affirme avec conviction m'être couchée moins ignorante ce soir.

Le drame de la métropole

On a tous entendu parler de l'inflation qu'a connue Vancouver ces dernières années.  Ceci dit, rien de tel que quelques chiffres pour en prendre la cruelle mesure.  Les prix de l'immobilier ont gimpé en flèche, rendant l'accession à la propriété pratiquement impossible.  Ceci explique cela : alors qu'on devrait dans un budget équilibré consacrer 30 à 35% de nos revenus à l'hébergement, les résidents de Vancouver eux y consacrent en moyenne 80%.  Vous comprenez maintenant pourquoi Paulo n'a d'autres choix que de se farcir trois emplois pour réussir à payer les 2000$ que lui coûtent ses 300 pieds carrés d'espace de vie... La prochaine fois que j'en entends un se plaindre au Québec, je le shippe illico sur la côte ouest.

Pour riposter à cette impitoyable explosion, des nouveaux modèles d'hébergement ont fait leur apparition, des coopératives pour la plupart. Par exemple, les maisons centenaires de l'élégant quartier de West End ont été converties en coops d'habitation "abordables", selon les standards vancouverois.  Vu de loin, on se dit "belle initiative, témoignage de la pensée avant-gardiste qui prévaut à Vancouver". Seulement, Paulo nous confie que cela va bientôt faire 10 ans qu'il est sur la liste d'attente pour joindre l'une de ces coopératives. Idem pour les nombreux petits lopins de terre que la ville met à la disposition des citoyens pour jardiner. Il entre dans sa huitième année d'attente. Vancouver est une ville idyllique, mais imparfaite à plusieurs égards. L'écart entre les plus nantis et ceux que Paulo appelle affectueusement les "economically challenged" est devenu rien de moins qu'un canyon.  Downtown Eastside en est le parfait exemple.  Pendant que des jeunes asiatiques se promènent en voiture de luxe sur Robson street, downtown Eastside voit sa population décupler chaque automne.  Des centaines de "coach car" débarquent à Vancouver année après année, bondés d'estropiés de toute sorte, fuyant l'hiver qui s'installe sur le reste du pays, sauf à Vancouver, seule ville qui ne produit de victimes de la saison froide.

Le drame de ses habitants

J'ai le flair pour les âmes en mal d'amour propre, les éclopés qui en ont lourd sur le cœur. Ou en fait, c'est peut-être le contraire, eux qui flairent mon oreille ouverte et ma nature compatissante. Chaque fois que je me pose - un banc de parc, un siège au bar dans un "dinner" - c'est immanquable. Quelqu'un s'installe à mes côtés et quelques minutes plus tard, le récit de sa vie défile en cinérama sur le bout de comptoir que nous partageons.

Spencer, le type au lourd passé kharmique qui tente de s'en sortir en mangeant plus de légumes que de fruits (sur ordonnance de sa naturopathe) et en suivant la voie de la libération que lui enseigne son "guru" spirituel.

Ou encore Kelly, l'américain-russo-aborigène qui revient à Vacouver après avoir habité 16 ans en Asie.  Auteur-compositeur-interprète, ingénieur de son, sous-chef, ancien snowboarder de haut calibre (il a fait plus dans ses 39 année de vie que ce que je prévois faire dans mes quelques prochaines), mais surtout papa d'un bambin de deux ans et demi qu'il ne voit plus parce sa femme (thaïlandaise) s'est poussée avec leur enfant dès qu'elle a obtenu sa citoyenneté canadienne.  C'est malheureusement un phénomène fort répandu ici me dit-on.  Entre deux gorgées de café, il maudit notre système judiciaire et comprend ceux qui pètent leurs plombs et décident de se faire eux-mêmes justice.

Je vous jure, je trouve mon quotidien et mon parcours dramatiquement banals lorsqu'ils me racontent les leurs. Certains les qualifieraient de loser. Moi je les aime ces personnages arc-en-ciel.  Je les écoute et je suis rassurée de savoir que la diversité humaine se porte bien.

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