jeudi 12 mai 2016

Je suis une naine de jardin

Je vous écris sur le porche de mon cabanon de jardin à Seattle. Mes prochaines nuits, c'est ici que je les passerai, dans une "shed" située dans la cour arrière d'un sympathique couple à l'affûté pouce vert.

Mais avant de vous parler de Seattle, laissez-moi faire un bref retour en arrière sur mes derniers jours à Vancouver.




Se gourer en voyage, c'est un incontournable. Ça remet les pendules à l'heure, ça aiguise et peaufine le sens du bourlingueur. Capilano Bridge, ça vous dit quelque chose ? L'attraction la plus visitée en Colombie-Britannique, parole de ma mère ! Un pont suspendu d'une longueur dont je n'ai de souvenir, des plateformes de bois nichées dans la canopée d'une forêt tropicale située à moins de 10 minutes à l'extérieur de Vancouver et des navettes gratos pour s'y rendre. J'aurais dû le flairer. Ça sentait le piège à touriste à 100 milles nautiques à la ronde. Pourtant non, j'ai plongé.

Après avoir traversé le pont suspendu à quelques reprises, question d'amortir le coût d'entrée (prix du billet divisé par le nombre de traversée effectué, calcul carrément futile qui permet tout de même de déjouer l'exarcébation de l'inconscient), j'ai pris mes jambes à mon cou et les ai mises à bon escient dans le quartier de Gastown, un bled jadis ouvrier, aujourd'hui revitalisé et conservé dans son état d'origine, façades de brique rouge, rues pavées de pierres, locaux industriels convertis en café... et en bar, notamment celui qui propose la plus impressionnante sélection de bières de micro-brasserie à Vancouver. Son petit nom, l'Alibi Room.

Allez Bouthillier, t'es capable

Ceci dit, entrer dans un bar, dans une ville étrangère, seule de surcroît, ça prend une certaine dose de courage. Je suis passée à deux ou trois reprises devant l'enseigne du bar le plus hip à Vancouver avant de finalement faire une femme de moi.

I'll take a seat at the bar please.

Armée (au sens figuré) de mon t-shirt d'extravertie, comme mon hôte Airbnb s'amuse à le qualifier, les doigts (et les orteils) croisés, espérant tomber sur à tout le moins un voisin de comptoir intéressant avec qui échanger quelques mots et boire quelques bonnes bières, j'ai fait une entrée absolument pas remarquée et c'est tant mieux ainsi.

À ma gauche, un couple. Je syntonise leur fréquence et réalise rapidement que ce sont des locaux sur le point de quitter. Pas de chance. Je porte donc mon attention sur la droite. Un homme seul, visiblement dans la quarantaine, mignon garçon aux cheveux grisonnants. Ça commence bien. Quelques minutes plus tard, après que j'aie commandé ma bière et mes fèves edamames, il sort son guide touristique de Vancouver. Bingo, un touriste qui voyage solo comme moi. Je viens de mettre la main sur une perchaude de qualité supérieure. Je lui adresse quelques mots et lorsqu'il me rétorque, il m'assène son plus bel accent britannique. Je craque. Je ne sais pas pour vous, mais moi les accents, TOUT particulièrement celui du royaume de sa majesté la Reine, je ne m'en lasse pas. L'effet est grisant. Est-ce la profondeur sonore que j'y perçois, l'élégance intarissable de cette langue ? Est-ce mon amour pour les mots et leurs sonorités qui me rend à ce point sensible aux plaisirs linguistiques ? Je ne saurais dire. Le Portugais brésilien et sa musicalité possède ce même charme vibratoire. Bien en selle sur mon tabouret, j'ai donc laissé mon interlocuteur du banc d'à côté m'emplir les oreilles de sa partition sémantique. Un double plaisir ce fut : celui de la conversation et de l'écoute, au sens acoustique du terme. Sympathique soirée qui a pris son envol par un lumineux lundi soir, mais qui ne s'est pas terminée là.

Après m'être assurée que l'hameçon était bien pris dans les branchies de ma perchaude baltique, j'ai commencé à mouliner en lui proposant de m'accompagner, le soir suivant, pour un souper dans rien de moins que LE meilleur restaurant indien en Amérique du Nord. Il a mordu à l'hameçon de façon définitive. L'affaire était ketchup. J'avais, contre toute attente, un accompagnateur pour cette sortie qui était au top de ma liste. Et ce fut un succès gastronomique !

J'ai mis le cap sur Seattle aux aurores mercredi matin, les yeux encore embrumés, et ai posé mes pénates dans la ville émeraude quelques heures plus tard. Sujet d'un prochain billet.

samedi 7 mai 2016

Vancouver, la belle et la bête

Il y a cinq ans, mon amant fut le Brésil. Aujourd'hui, c'est pour Vancouver, le séduisant, le désinvolte, l'émeraude, que mon cœur papillonne.

Voilà trois heures que j'ai jeté l'ancre dans English Bay, sur le seawall qui borde et entoure l'océan de ses bras généreux. Je regarde autour de moi, je suis en mode absorption de données subjectives, j'observe ce qui se passe, la marée qui monte, les paquebots qui se bercent en attendant une place au port, les peupliers brocolis si densément feuillus qu'ils obliquent à peine sous l'effet de la brise, et bien sûr, un peu cliché, mais vrai et émouvant, le soleil qui flotte au-dessus de l'eau attendant lui aussi, tout comme les paquebots, le moment prévu pour atterrir. Il est 20:00.

Aujourd'hui, j'ai exploré la ville à bord d'un "cruiser" bleu turquoise avec Paulo, le biologiste marin, désigner graphique et guide touristique (je reviendrai plus tard sur le pourquoi des trois métiers). D'autres cyclistes nous accompagnaient, mais comme ils n'ajoutent rien à l'histoire, inutile de gaspiller plus que ces quelques mots sur eux !

Alors revenons à Paulo.  Une encyclopédie sur deux roues.  Il ne vous balance pas tout bêtement son arsenal de données dans la tronche, il vous raconte des histoires. Et ça, à une époque où les véritables conteurs sont en voie d'extinction et l'art de raconter lui-même quasi-uniquement utilisé à des fins commerciales, et bien, ça n'a pas de prix.  J'affirme avec conviction m'être couchée moins ignorante ce soir.

Le drame de la métropole

On a tous entendu parler de l'inflation qu'a connue Vancouver ces dernières années.  Ceci dit, rien de tel que quelques chiffres pour en prendre la cruelle mesure.  Les prix de l'immobilier ont gimpé en flèche, rendant l'accession à la propriété pratiquement impossible.  Ceci explique cela : alors qu'on devrait dans un budget équilibré consacrer 30 à 35% de nos revenus à l'hébergement, les résidents de Vancouver eux y consacrent en moyenne 80%.  Vous comprenez maintenant pourquoi Paulo n'a d'autres choix que de se farcir trois emplois pour réussir à payer les 2000$ que lui coûtent ses 300 pieds carrés d'espace de vie... La prochaine fois que j'en entends un se plaindre au Québec, je le shippe illico sur la côte ouest.

Pour riposter à cette impitoyable explosion, des nouveaux modèles d'hébergement ont fait leur apparition, des coopératives pour la plupart. Par exemple, les maisons centenaires de l'élégant quartier de West End ont été converties en coops d'habitation "abordables", selon les standards vancouverois.  Vu de loin, on se dit "belle initiative, témoignage de la pensée avant-gardiste qui prévaut à Vancouver". Seulement, Paulo nous confie que cela va bientôt faire 10 ans qu'il est sur la liste d'attente pour joindre l'une de ces coopératives. Idem pour les nombreux petits lopins de terre que la ville met à la disposition des citoyens pour jardiner. Il entre dans sa huitième année d'attente. Vancouver est une ville idyllique, mais imparfaite à plusieurs égards. L'écart entre les plus nantis et ceux que Paulo appelle affectueusement les "economically challenged" est devenu rien de moins qu'un canyon.  Downtown Eastside en est le parfait exemple.  Pendant que des jeunes asiatiques se promènent en voiture de luxe sur Robson street, downtown Eastside voit sa population décupler chaque automne.  Des centaines de "coach car" débarquent à Vancouver année après année, bondés d'estropiés de toute sorte, fuyant l'hiver qui s'installe sur le reste du pays, sauf à Vancouver, seule ville qui ne produit de victimes de la saison froide.

Le drame de ses habitants

J'ai le flair pour les âmes en mal d'amour propre, les éclopés qui en ont lourd sur le cœur. Ou en fait, c'est peut-être le contraire, eux qui flairent mon oreille ouverte et ma nature compatissante. Chaque fois que je me pose - un banc de parc, un siège au bar dans un "dinner" - c'est immanquable. Quelqu'un s'installe à mes côtés et quelques minutes plus tard, le récit de sa vie défile en cinérama sur le bout de comptoir que nous partageons.

Spencer, le type au lourd passé kharmique qui tente de s'en sortir en mangeant plus de légumes que de fruits (sur ordonnance de sa naturopathe) et en suivant la voie de la libération que lui enseigne son "guru" spirituel.

Ou encore Kelly, l'américain-russo-aborigène qui revient à Vacouver après avoir habité 16 ans en Asie.  Auteur-compositeur-interprète, ingénieur de son, sous-chef, ancien snowboarder de haut calibre (il a fait plus dans ses 39 année de vie que ce que je prévois faire dans mes quelques prochaines), mais surtout papa d'un bambin de deux ans et demi qu'il ne voit plus parce sa femme (thaïlandaise) s'est poussée avec leur enfant dès qu'elle a obtenu sa citoyenneté canadienne.  C'est malheureusement un phénomène fort répandu ici me dit-on.  Entre deux gorgées de café, il maudit notre système judiciaire et comprend ceux qui pètent leurs plombs et décident de se faire eux-mêmes justice.

Je vous jure, je trouve mon quotidien et mon parcours dramatiquement banals lorsqu'ils me racontent les leurs. Certains les qualifieraient de loser. Moi je les aime ces personnages arc-en-ciel.  Je les écoute et je suis rassurée de savoir que la diversité humaine se porte bien.

mercredi 4 mai 2016

La vie à bord et l'épique jour 3




À mesure que les heures avancent, on s'approprie davantage les lieux, on parcoure le train de bout en bout d'un pas affirmé.  Les sourires entre voyageurs se font plus francs, les amitiés éphémères se tissent, on se donne plus facilement et plus fréquemment rendez-vous au bar en après-midi (ou en fin d'avant-midi pour les Australiens, les Français, les Anglais et moi - 3 peuples et une Québécoise). Un microcosme fascinant de familiarité se forme sur le champ pour mieux se dissoudre à destination.

Les repas sont au voyage en train longue distance ce que Galarneau est à notre planète. Le point d'ancrage de la vie à bord.  Tout s'organise en périphérie de ces moments de rassemblement où les rencontres se renouvellent sans cesse et les conversations s'improvisent au gré des convives et de la rumeur quotidienne qui fraye son chemin à travers le vaisseau sur roues qui nous transporte d'un point kilométrique vers l'autre.

Parce qu'ici, pas de connexion aux "interweb". On est, pour notre plus grand plaisir (ou plus grand damn, ça dépend de quel type vous êtes), coupé du monde que l'on traverse et réduit à s'alimenter du moment. Une île en mouvement qui s'abreuve des rapports d'événements anodins qui, comme vous pouvez l'imaginer, ont la côte à bord.

Aucune notion précise du temps non plus. La mesure du temps ici, ce sont les paysages qui défilent, les soleils levants qui se succèdent et les nuits enveloppantes qui vous la dictent.  Un peu à la façon des peuples anciens pour qui la position du soleil et l'étoile polaire étaient des repères infaillibles.

Jour 3
L'épique jour 3 du périple en train. LA raison première pour laquelle on choisit de faire ce voyage plutôt qu'un autre.  Départ d'Edmonton en matinée, les Rocheuses nous accueillent au royaume des sommets enneigés en début d'après-midi, avec un court arrêt dans le village de Jasper, le coquet quoique touristique.  Comble du bonheur, tous les éléments se sont mis de la partie pour nous offrir une journée divine.  Soleil mur à mur, 25 degrés et la chance d'apercevoir la cime du Mont Robson, le plus haut sommet des Rocheuses qui d'ordinaire a la tête dans les nuages (il n'est visible que 12 à 15 jours par année). Tsé quand tu mènes une bonne vie !

Le jour 3, c'est un peu comme le fudge fondant au chocolat qui trône sur votre sundae. Décadent de beauté pour les aficionados des montagnes qui, comme moi, préfère la nature élevante aux étendues sablonneuses.  C'est une question de feeling, comme dirait Fabienne Thibeault.  Une question de personnalité aussi.

Pour terminer la journée, les plus sociables (et sympathiques) d'entre nous se donnent rendez-vous dans la voiture panoramique pour le préambule au souper : une dégustation de vin avec en toile de fond les vallées verdoyantes qui bordent la rivière Fraser (can it really get better than that ?).  Absence totale d'entrave au bonheur.  Les langues se délient, les rires sont gras et de bon cœur. On se regarde et on sait la chance inouïe que l'on a d'être ici, maintenant, tout simplement.  Et c'est exactement ce sentiment que je garderai dans mon baluchon et trimballerai avec moi, en souvenir de ces derniers jours.

N.B. : Je m'étais promise d'éviter toute forme de chialage pour les prochaines semaines, mais je dois vous partager un irritant majeur depuis mon départ. Il me faudrait être en état de contemplation permanente (épuisante tâche !!) pour réussir à capter sur le vif les clichés dignes d'intérêt. 9 fois sur 10, je lève la tête, vois une rivière, un pâturage, un ours (que j'ai réussi à confondre avec une vache alors que je ne portais pas mes lunettes - really Bouthillier ?!) attrape mon appareil, pointe le viseur par la fenêtre et pif paf pouf, le paysage n'est plus qu'un vague souvenir laissé en pan par le train qui poursuit sa course sans égard pour ses passagers avides.

lundi 2 mai 2016

Il y a une première fois pour tout

Première nuit à bord du "Canadien"

Il est 22:30. Les bagages sont rangés et le repérage des lieux amorcé.  Je suis en train d'échanger quelques mots avec mes voisines lorsqu'un visage se pointe dans l'étroite embrasure de ma porte de cabine.  C'est Graham, le responsable de ma voiture, la 113.  Il nous présente les fonctionnalités de base du 5 pieds carrés dans lequel nous passerons les 4 prochains jours : cuvette, vanité, lit rétractable, ventilation.  Foutrement astucieux. Maximisation de l'espace oblige, l'aménagement des cabines s'inspire en tous points du récent courant architectural, le "tiny house design" qui, en plus de rendre ces micros espaces fonctionnels, les dotent d'une fenestration généreuse.  Vous ne faites plus qu'admirer les forêts clairsemées et les ciels bleu pétrole, vous êtes dans la forêt, vous ÊTES l'épinette et le cumulo-nimbus.




Graham termine son pitch sur une note béton. Il s'assure de me laisser savoir que mon identité sur ce train est connu.  "Yeah, we know who you are Mrs. Bouthillier".  Entre partenaires de la même industrie, les nouvelles voyagent vites et le souci de bien servir ses compères est source de fierté.



Mon œil assoupi lorgne la nuit étoilée à travers le hublot grandeur nature.  Par moment, la voiture crache des cris stridents qui font sursauter.  Le frottement des roues de métal sur la voie ferrée.  Question d'habitude.

Première matinée

La cuisine et le soleil émergent en simultanée aux aurores. Les conversations bourdonnent en salle à manger, aux tables avoisinantes surtout.  À la mienne, des convives peu loquaces entretiennent un silence inconfortable : un couple asiatique qui évite clairement toute forme de contact et un dude nonchalant, lourd du pas, du type fond-de-culotte-au-raz-des-pâquerettes.  

Focus sur tes deux œufs, saucisse, Bouthillier !

Gary, le directeur de service, me confiera en soirée que depuis l'introduction plus soutenue des spéciaux chez Via, la clientèle a muté. Sans être contre la démocratisation de ce type de voyage ordinairement onéreux, il déplore la trop grande mixité des passagers dont les valeurs, l'éthique et les comportements sont diamétralement opposés. Pas toujours un heureux mélange dit-il, et surtout, des situations parfois difficiles à gérer.  Pour lui, chacun sa place et tous s'en porteront mieux. D'ordinaire, j'aurais entrepris un plaidoyer pour l'équipe adverse, par pur plaisir de jouer l'avocat du diable. Mais je suis en vacances.  J'ai laissé Céline, l'insurgée, à la maison.

Aussitôt le déjeuner terminé, je quitte ma tablée molle et m'installe dans la voiture dôme (elle porte bien son nom, elle et les 360 degrés de vision panoramique qu'elle offre).  J'entends pour la première fois depuis mon départ quelques balbutiements français au loin.  Je tends l'oreille.  Ça jase train, horaire, infrastructure.  Je m'approche et m'immisce dans la conversation pour finalement me rendre compte que mon octogénaire d'interlocteur travaille au musée ferroviaire de Saint-Constant et s'implique activement chez Transport 2000.  Michel Belhumeur, un militant du TC et fervent abonné des consultations publiques de l'AMT. Je ne le connais pas, mais je suis persuadée que certains de mes collègues, oui.  Décidément, chassez le boulot et il revient au galop.

Première bouffée d'air (frais, c'est discutable) à Hornepayne : village désertique, royaume du pick-up et du poteau de Pise

Rien de notable à signaler, à l'exception d'une chose. Notre passage, aussi soudain et bref soit-il, doit certainement faire rouler l'économie. Le train se remet en route et nous poursuivons notre chemin à travers cet Ontario profond et, avouons-le, passablement ennuyeux.  Nous lui aurons consacrer plus de 24 heures sur un périple qui en durera 84. L'Ontario, c'est la "big mama" du Canada.

Vivement Winnipeg !