Mais avant de vous parler de Seattle, laissez-moi faire un bref retour en arrière sur mes derniers jours à Vancouver.
Se gourer en voyage, c'est un incontournable. Ça remet les pendules à l'heure, ça aiguise et peaufine le sens du bourlingueur. Capilano Bridge, ça vous dit quelque chose ? L'attraction la plus visitée en Colombie-Britannique, parole de ma mère ! Un pont suspendu d'une longueur dont je n'ai de souvenir, des plateformes de bois nichées dans la canopée d'une forêt tropicale située à moins de 10 minutes à l'extérieur de Vancouver et des navettes gratos pour s'y rendre. J'aurais dû le flairer. Ça sentait le piège à touriste à 100 milles nautiques à la ronde. Pourtant non, j'ai plongé.
Après avoir traversé le pont suspendu à quelques reprises, question d'amortir le coût d'entrée (prix du billet divisé par le nombre de traversée effectué, calcul carrément futile qui permet tout de même de déjouer l'exarcébation de l'inconscient), j'ai pris mes jambes à mon cou et les ai mises à bon escient dans le quartier de Gastown, un bled jadis ouvrier, aujourd'hui revitalisé et conservé dans son état d'origine, façades de brique rouge, rues pavées de pierres, locaux industriels convertis en café... et en bar, notamment celui qui propose la plus impressionnante sélection de bières de micro-brasserie à Vancouver. Son petit nom, l'Alibi Room.
Allez Bouthillier, t'es capable
Ceci dit, entrer dans un bar, dans une ville étrangère, seule de surcroît, ça prend une certaine dose de courage. Je suis passée à deux ou trois reprises devant l'enseigne du bar le plus hip à Vancouver avant de finalement faire une femme de moi.
I'll take a seat at the bar please.
Armée (au sens figuré) de mon t-shirt d'extravertie, comme mon hôte Airbnb s'amuse à le qualifier, les doigts (et les orteils) croisés, espérant tomber sur à tout le moins un voisin de comptoir intéressant avec qui échanger quelques mots et boire quelques bonnes bières, j'ai fait une entrée absolument pas remarquée et c'est tant mieux ainsi.
À ma gauche, un couple. Je syntonise leur fréquence et réalise rapidement que ce sont des locaux sur le point de quitter. Pas de chance. Je porte donc mon attention sur la droite. Un homme seul, visiblement dans la quarantaine, mignon garçon aux cheveux grisonnants. Ça commence bien. Quelques minutes plus tard, après que j'aie commandé ma bière et mes fèves edamames, il sort son guide touristique de Vancouver. Bingo, un touriste qui voyage solo comme moi. Je viens de mettre la main sur une perchaude de qualité supérieure. Je lui adresse quelques mots et lorsqu'il me rétorque, il m'assène son plus bel accent britannique. Je craque. Je ne sais pas pour vous, mais moi les accents, TOUT particulièrement celui du royaume de sa majesté la Reine, je ne m'en lasse pas. L'effet est grisant. Est-ce la profondeur sonore que j'y perçois, l'élégance intarissable de cette langue ? Est-ce mon amour pour les mots et leurs sonorités qui me rend à ce point sensible aux plaisirs linguistiques ? Je ne saurais dire. Le Portugais brésilien et sa musicalité possède ce même charme vibratoire. Bien en selle sur mon tabouret, j'ai donc laissé mon interlocuteur du banc d'à côté m'emplir les oreilles de sa partition sémantique. Un double plaisir ce fut : celui de la conversation et de l'écoute, au sens acoustique du terme. Sympathique soirée qui a pris son envol par un lumineux lundi soir, mais qui ne s'est pas terminée là.
Après m'être assurée que l'hameçon était bien pris dans les branchies de ma perchaude baltique, j'ai commencé à mouliner en lui proposant de m'accompagner, le soir suivant, pour un souper dans rien de moins que LE meilleur restaurant indien en Amérique du Nord. Il a mordu à l'hameçon de façon définitive. L'affaire était ketchup. J'avais, contre toute attente, un accompagnateur pour cette sortie qui était au top de ma liste. Et ce fut un succès gastronomique !
J'ai mis le cap sur Seattle aux aurores mercredi matin, les yeux encore embrumés, et ai posé mes pénates dans la ville émeraude quelques heures plus tard. Sujet d'un prochain billet.